Quelque part en France, partout dans le monde. Il est
dix huit heures et l’ensemble de la classe politique et des journalistes ne
fait même plus semblant de retenir son souffle. Ils ont peine à dissimuler leur
sourire, on sent d’ici sourdre quelques liquides pré-séminaux, quelques suints
de joie confite, il faut que ça sorte enfin, ça transpire par-dessus les fonds
de teints et les autobronzants. Ils sont presque déjà usés par la joie et par
ce confort tabernaculaire qu’ils se voient reconduit pour une poignée d’éons.
La camelloïde Léa Salamé, sourcils soigneusement brossés pour l’occasion, passe
les plats d’un plateau à l’autre, juchée sur ses talons. Il s’agit de ne pas
glisser sur les traînées de laitance laissées ici et là par le gastéropode
Pujadas, gommeux et imbibé de lustre, terrible masque de satisfaction poudré
jusqu‘à l‘os. Ils jubilent tous à l’unisson, se sachant d’avance augmentés,
promus, décorés, satellisés dans les coursives de la Deathstar. Dans les
jours qui ont précédé, et dans une discrétion relative, Stratcom, la division propagande
de l’OTAN, digne héritière des réseaux Gladio, a passé un accord avec Facebook
et l’ensemble des quotidiens français pour faire taire définitivement les voix
discordantes ou fake news. Nous y sommes enfin, dans un totalitarisme
qui ne se cache même plus et désigne d’office ce qui est vrai et ce qui ne l’est
pas. Compliqué de donner des leçons à la Russie lorsque 95% des médias sont détenus
par des oligarques qui programment la vie politique française avec 10 coups d’avance.
Attali dira de Macron qu’il l’a «inventé». Comment ne pas le croire ? Ce nom,
digne d’un Decepticon, est aussi l’anagramme de Monarc. Tarte à la crème
complotiste figurant en bonne place entre le projet Blue Beam et le
porte-avions de Philadelphie, Monarch fut le nom, à une consonne près, d’une
vaste expérience de sujétion mentale déployée sur les tréteaux de l’opération
Paperclip, dans les années 60. Mais il ne s’agit sûrement que d’une fake new
également… Kubrick lui-même ne cessa d‘avouer la terreur que lui inspirait
la caste dirigeante anglo-saxonne, distillant dans toute son œuvre des références
à l’ingénierie sociale, à Monarch et au pouvoir obscur qui alimente en
combustibles humains la bouche frangée d’étrons du mammonisme moderne. Comme un
sinistre présage, quelques heures plus tard, c’est un plan totalement
kubrickien qui cadre le nouveau monarque devant la pyramide du Louvre, donnant
du grain à moudre aux onanistes du complot pour les 25 ans à venir. L’équipe de
Macron a évidemment conscience de ce double sens et elle en joue, jouissant de
baiser doublement le peuple, symboliquement et démocratiquement.
Car enfin, les complotistes, chacun sait, sont de
grands naïfs : ils nourrissent eux aussi la machine en relevant des occurrences
dans une réalité qu’ils croient causale, alors que depuis bien longtemps elle n’est
plus qu’un programme de cryptage soigneusement déroulé. L’Histoire finalement n’a
fait que mimer les révolutions scientifiques : dans un premier temps elle fut l’héritière
du mythe, diffusant les reflets d’une vision préhensile du cosmos dans des sociétés
premières, puis elle a commencé à s’auto-bouturer, créant des boucles de sens
et des virgules de pâmoison blette là où les sédentarisations et les concrétions
du monde bourgeois l’avaient emmenée, au-delà de la grande brèche du Sacré et
du meurtre des nations. Philip K. Dick en avait eu la conscience prophétique, découvrant
avec horreur que le monde se mettait peu à peu à ressembler à ses propres romans…Horreur suprême que celle du Démiurge
malgré lui…Quelque chose de son être a fui
dans le monde, emprisonnant des pans de réel entiers dans la glu d’une
imagination délétère. Nodalités. Interférences
cognitives. Le réel se re-déploie à chaque seconde, mais et quelque chose de
lui disparaît dans cette ré-invention constante. Mémoires votives contre mémoires
génétiques. Et entre les deux le labeur des itérations égotiques
qui remodèlent la fréquence du monde à l’aune de leurs névroses. Nous en sommes là : l’histoire ne créé plus que de la fiction. A
force de se mirer, elle ne peut plus produire qu’une conscience d’elle-même, ce
qui rend caduque l’idée même de complotisme.
Il ne peut y avoir de complot dans un monde qui est devenu le complot
lui-même. Un monde-piège. Un faux plancher de prestidigitateur que nous prenons
pour la voûte étoilée. C’est-ce que les conspirationnistes et autres dérouleurs
de logos ne semblent pas avoir perçu : jusqu’à Michel Onfray, impayable, qui
annone avec son sérieux de petit pape laïcard et offensé les étapes de ce
processus adémocratique, enfonceur de portes toujours plus béantes. «Je viens d’achever
mon livre en ce soir d’élection», nous dit-il. Belle synchronicité. Ce
provincial de la pensée – et non penseur de province – pense nous apprendre que
le système a créé Emmanuel Macron, torpillé François Fillon, éradiqué les
vieilles gardes pesantes de la République binaire et claudiquante qui se tortillait
sur les ruines de la France gaulliste…et nous rappelle sans sourciller le scénario
bien huilé de cette période électorale riche en twists, comme dans un
bon Shyamalan… C’est un peu tard, Michel. Etiez-vous du genre à prophétiser la
fin du rideau de fer perché sur les chicots fumants du mur de Berlin ?
Etre complotiste, dénoncer un scénario, c’est avoir
encore avoir foi en la démocratie et au
déroulement causal de l’Histoire. C’est ne pas comprendre que celle-ci ne suit
plus une ligne directrice – c'est-à-dire qu’elle n’est plus le produit des
champs causaux et des consciences actives qui la composent, mais qu’elle est le résultat d’une concrétion,
d’opérations métaphysiques qui éclosent dans des véritables poches de non-sens
générées par l’ordalie profane des technologies digitales et computationnelles.
Qu’elle se comporte comme un programme dont on ré-encode constamment l’algorithme
liminaire. L’histoire n’est plus qu’un système de cryptage des données qui
utilise des paradigmes moraux et sociaux – démocraties, fascismes - pour entériner
son code-source, pour l’infuser dans les consciences même, le rendant viral et à
même de produire ses propres occurrences dans nos champs d’action, de
conscience et de pensée. C’est pourquoi le réel, au lieu de produire du réel,
se met désormais à produire de la fiction : il se « réduit » à mesure qu’il est
pensé par le chœur des élites et le consensus cognitif parodifiant qui en émane.
Ainsi, Le Pen et Mélenchon, contrairement à ce que
croit penser Onfray, ne sont pas les «idiots utiles» du système. Ils l’accompagnent
depuis bien trop longtemps pour cela, ils sont au cœur de ce système, ils en
sont les plis et les goitres humains peuplés d’humeurs et de ganglions
post-historiques. Ils se sont littéralement couchés. Marine Le Pen a
volontairement saboté son ultime débat, incarnant une baba yaga
histrionique et grinçante, compulsant fébrilement ses notes comme un cancre
avant un oral de brevet des collèges. Sa France Apaisée a revêtu le
masque que n’espéraient même plus voir ses opposants les plus farouches - les
vrais idiots utiles, transfuges de gauches moribondes qui croient encore que le
FN constitue une quelconque menace pour l’oligarchie : elle a réactivé les
mimiques de son père dans un acting de rombière goguenarde, charcutant
son propre programme sous les yeux du gendre Macron, celui-ci n’ayant subséquemment
quasiment rien eu à faire pour sortir grandi de cet échange de basse-cour. Ce débat
n’en était pas un mais une mise en scène, une orchestration savamment arrangée.
De même Mélenchon n’a pas pêché par mégalomanie ou par excès d’ambition
personnelle : lui aussi est intégré depuis trop longtemps dans le système pour
ne pas avoir eu à se plier à ses ordres : sa campagne ridicule, son auto-évaporation
par voie holographique - ravivant les spectres murayens du nécrosocialisme
- ont tout aussi bien servi le système
et précipité le hold up kabbalistique qu’a été la victoire de Macron-Monarc. Ce
dernier est le trait d’union qui manquait entre le Kennedy de l’Amérique
crypto-fasciste des années 50 et le golem cyberpunk cultivé dans les cuves
placentaires du mondialisme décomplexé de la Silicon Valley et de ses sbires
encravatés shootés aux micropointes de LSD. Onfray, qui porte son athéisme
pubescent en bandoulière pour éviter de trop avoir à mirer l’abîme des siècles,
semble découvrir que nous vivons dans une Europe totalitaire, 50 ans après la
chute programmée de De Gaulle…et de nous prévenir à mi-voix qu’il ne faut pas
trop «stigmatiser les complotistes». Pourtant ce n’est même plus l’histoire qui
est coupable de supercherie, mas bien le réel lui-même. On l’escamote au fur et
à mesure que se resserre la gangue de la tabulation générale du monde et de l’intercession
permanente des réseaux, qui programment un inconscient collectif auto-génératif,
créant de véritables homoncules de réalité alternative, des entéléchies
numériques. Nous sommes après l’histoire, disait Muray, dans l’arrière-monde
de l’après-monde. Coincés dans la buanderie d’une maison de retraite où c’est
le réel lui-même qui traine ses articulations malmenées. Le Gorafi et le Figaro
ne font désormais aucune différence : notre président-robot, Ultron, Macron, je
ne sais plus, dégoise un discours riche d’un vocabulaire de 30 mots, adaptés au
migrants et aux handicapés mentaux, devant
une pyramide de verre, dominant un parterre de clones parfaits, ces français
capables de brandir le drapeau européen sans immédiatement se consumer d‘horreur.
La boucle est bouclée. On ne discerne plus la réalité d’un film Marvel, les
deux détricotant la trame du vrai pour assoir une eschatologie grossière à même
de concilier les deux mamelles empoisonnées de la modernité : socialisme et
occutisme. Le réel est passé. Les siècles sont finis.
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